Abstention record annoncée, volatilité de l’électorat, pesante indécision sur le résultat final, agoraphobie passagère, angoisse de l’inconnu, le tout couronné par la menace lepéniste, à dix jours du premier tour, l’élection présidentielle française semble montrer, avec la perplexité latente, quelques signes de nervosité.
Voilà par exemple que Monsieur Fillon, candidat de droite à la Présidence de la République française, se compare à Vercingétorix, vainqueur à Gergovie de César, désigné dans un raccourci historique saisissant comme „le favori des sondages“. Voyez Macron.
Emmanuel Macron, César? On ne lui connaissait pas ce profil impérial. Effet de tribune, certes. Mais au-delà du cloaque judiciaire ou de l’indigence de cette campagne, ainsi qualifiée par les commentateurs politiques les plus aguerris, on atteint là un sommet du ridicule.
Comme si, dans l’incertitude qui règne en cette fin de combat, les candidats aux abois étaient prêts à n’importe quel dérapage pour faire le buzz, pour amuser la galerie, faire diversion, ou grapiller quelques voix.
Et Fillon en héros gaulois? Mais c’est plutôt du côté de Tartuffe qu’il faudrait regarder.

François Fillon
En effet, dans cette course au buzz, Molière semble à la mode. Montesquieu beaucoup moins.
Montesquieu, vous savez, cet éveilleur de la pensée politique française, qui en 1748 avait osé décortiquer l’esprit des lois, revendiquer la séparation nécessaire des pouvoirs, analyser les formes de gouvernement, et placer la vertu au centre de la forme nommée „république“.
Cela a dû laisser quelques traces dans l’inconscient collectif, puisque selon une étude récente, après l’affaire Fillon, ce n’est pas la compétence ou le charisme qui apparaît comme la qualité principale exigée par les français d’un homme politique, mais la probité.
Dans l’équipe Fillon par contre, ce serait plutôt: Montesquieu? Qui ça? Connais pas. Oublions les affaires et sauvons la France. Attaquons la justice et la presse, dénonçons avec grandiloquence „l’attentat politique“. Et distillons en attendant quelques petites phrases assassines.
C’est ainsi qu’un proche lieutenant de Monsieur Fillon a trouvé son bonheur chez Molière, qualifiant Emmanuel Macron de Trissotin, ce petit marquis des „Femmes Savantes“ emblématique de la superficialité rhétorique. Il faut dire que le jeune impudent Macron, qui a l’outrecuidance d’être en tête dans les sondages, a déclaré vouloir prendre comme première mesure de son mandat présidentiel, s’il est élu, l’abolition du népotisme chez les parlementaires, doublée de l’interdiction de l’activité de conseil, pour éviter les conflits d’intérêt. Exactement ce que la justice reproche à Monsieur Fillon. Ce n’est pas vraiment ce que l’on peut nommer un vide rhétorique.
Ah le brave abbé Fillon! Le journal francophone libanais L’Orient-le jour l’avait ainsi nommé dans un éditorial, faisant référence à son programme sociétal extrêmement conservateur et son soutien sans faille par le milieu des intégristes catholiques.
Voilà un homme qui des années durant s’est forgé une image sainte, celle de la probité en politique, par opposition notamment aux jongleries affairistes douteuses et déboires judiciaires de son supérieur immédiat, l’ex-Président Sarkozy. Qui fort de cette image, se fait élire à la primaire de la droite sur la base d’un programme néo-thatchérien, ultralibéral, malthusien, pourfendeur des dépenses publiques, et qui se retrouve rattrappé en plein vol par sa part d’ombre: comme l’a révélé le Canard Enchaîné, et l’a ensuite constaté la justice, l’homme pendant plus de trente ans s’est engraissé sur le dos de la République, à coups d’emplois fictifs bricolés en famille et d’arrangements administratifs jouant sur les interstices de la légalité. Et le même homme, comme la presse s’est empressée de le révéler dans un feuilleton impitoyable, a cherché vainement à masquer ses goûts de luxe, qui eux n’ont pas été vraiment du goût de l’électorat populaire.
Bref, un pur produit de la France des privilèges. Et un Tartuffe accompli. Toujours Molière.

Emmanuel Macron
Et donc, selon Tartuffe, César serait Monsieur Macron. L’homme est habile, certes, fut même déclaré par Le Monde maître en parricide, suite au renoncement de Hollande. Le patron des députés socialistes aurait même avoué, admiratif: „il y aura Clausewitz, Sun Tzu, et Emmanuel Macron“. Mais malgré cette envolée panégyrique ponctuelle, de là à voir en lui l’Imperator conquérant, c’est aller un peu vite en prophétie politique.
Une macronomanie s’est installée, oui. Tous les sondages le donnent gagnant, oui. Particulièrement au second tour face à Marine Le Pen. Les ralliements affluent de tous bords, de gauche comme de droite. Mais le candidat sait que rien n’est gagné, son électorat potentiel étant encore très volatil, 40% se déclarant capables de changer d’avis. Certains ralliements de personnalités de gauche peuvent rebuter des électeurs de droite qui penchaient pour lui, et inversement, certains ralliements de droite écoeurent déjà sa base plutôt située à gauche. Le wonder boy est sur le fil, l’équilibrisme est dangereux en politique, comme chacun sait.
Car son positionnement novateur, à gauche et à droite, à droite et à gauche, ni à gauche ni à droite, ni à droite ni à gauche, déclivant de ce fait le paysage politique français, ce qui lui vaut son succès incontestable, peut inquiéter par son imprécision même pour la confirmation du premier tour, et ne lui garantit ni majorité législative ni stabilité gouvernementale en cas de victoire. Ce qui promet, s’il atteint l’Elysée, une recomposition des forces politiques traditionnelles, autrement dit une foire d’empoigne démocratique de grande ampleur. Et un saut dans l’inconnu.

Jean Luc Mélanchon
Tout comme l’hypothèse Mélanchon. Le talentueux tribun de la „France insoumise“ fait une fin de campagne fulgurante, catalysant de plus en plus un vote de conviction, plus ferme que le vote dit utile attribué à Macron, et pourrait créer la surprise. Certains voient déjà un effondrement de Macron dans la dernière ligne droite, victime de sa friabilité, et un duel Mélanchon-Le Pen au deuxième tour. Extrême-gauche, ou gauche insoumise, contre extrême-droite. Du jamais vu sous la Vè République. Et donc là encore, un pas vers un autre inconnu.

Marine Le Pen
Quant à Tartuffe, il n’a plus qu’à espérer le pardon de la France droitière, et un sursaut dans le confessionnal, pardon l’isoloir, pour se hisser au deuxième tour, et pourquoi pas ensuite au sommet de l’Etat, et échapper ainsi le temps d’un quinquennat, dans une fuite en avant berlusconienne, gràce à l’immunité présidentielle, aux poursuites judiciaires.
Reste l’inconnue Le Pen. Devenue incontournable. Entre un quart et un tiers de la France la soutient. Une majorité absolue, cela est peu probable.
Mais le climat est lourd. Et Molière n’en sourit guère.
10.04.2017

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