Une envie de Cyrano

Sebastian Kurz a su jouer sur l'effet Macron: jeunesse et nouveauté, sans avoir ni l'expérience opérationnelle ni le bagage philosophique du nouveau Président français.
Patrick Guinand
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Ah! Non! C’est en peu court jeune homme!

C‘est ainsi que Cyrano, dans la pièce éponyme de Rostand, interrompt le jeune pédant Valvert avant de lâcher sa célèbre tirade des nez, exercice de virtuosité oratoire parmi les plus brillants de la littérature dramatique.

Force est de constater que l’Autriche, au vu des résultats provisoires des élections législatives de ce dimanche, n’a pas trouvé son Cyrano. Car le jeune Sebastian Kurz („court“ en français), nouvelle idole du parti conservateur ÖVP, a remporté l’élection avec une confortable avance, et personne n’a réussi à déconstruire le vide de son discours électoral. Pas même l’expérimenté chancelier SPÖ sortant Christian Kern, ni le bretteur d’estrade du FPÖ Hans-Christian Strache.

Comme un mantra ou un moulin à prières tibétain, Kurz a répété à l’infini, y compris dans son bref discours victorieux de dimanche soir, qu’il était pour „le changement“, sans que personne ne sache exactement ce que ce changement veut dire -à part la captation par l’ÖVP du poste de chancelier. Mais le mantra magique a fonctionné. Il est arrivé en tête avec 31,36% des voix.

Kurz avec Elisabeth Köstinger, secrétaire générale de l’ÖVP

Du moins aux premières publications des résultats lundi matin. Les sociaux-démocrates du SPÖ et l’extrême-droite du FPÖ se disputent la deuxième place, le FPÖ devançant à ce stade le SPÖ de 26.000 voix (27,35% contre 26,75%). Ce qui n’est pas sans rappeler de sombres souvenirs.

Sur le résultat final, la patience toutefois s’imposait: la participation par correspondance fut cette fois-ci très élévée, et 750.000 voix restaient à dépouiller jusqu’à jeudi, date butoir pour l’énoncé du résultat. Il est dit que traditionnellement le vote par correspondance s’oriente plutôt majoritairement vers le SPÖ, ce qui lui permettrait de reconquérir la deuxième place. Suspense donc. Qui a confirmé la tendance: mardi, après dépouillement de plus de 700.000 voix par correspondance (donc un résultat quasi définitif), l’ÖVP reste stable avec 31,52%, le SPÖ regagne la deuxième position avec 26,86%, devançant de justesse le FPÖ de 40.000 voix (26,04%). Un avantage fort mince, mais de haute importance symbolique.

Mais quoiqu’il en soit, le Président de la République Van der Bellen, élu en 2016 de justesse devant Norbert Hofer le candidat du FPÖ, devrait demander au jeune Kurz, comme la Constitution l’y invite, de former le nouveau gouvernement. Lequel sera obligatoirement de coalition. Et là les spéculations vont bon train. Une nouvelle coalition ÖVP-SPÖ semblant pour l’instant hors-jeu, tant les haines entre les deux partis sont recuites après des années de gouvernement commun et de bisbilles permanentes, l’hypothèse la plus en vogue est bien sûr une coalition ÖVP-FPÖ. Après tout, Kurz durant la campagne avait considérablement droitisé son discours, reprenant à son compte une grande partie du programme du FPÖ, et les résultats cumulés des deux partis représentent presque 58% des votants! Ce que n’a pas manquer de claironner triomphalement Strache, en affirmant que 60% des autrichiens sont ainsi d’accord avec sa ligne programmatique.

Jörg Haider et Wolfgang Schüssel

Et cela semble aux yeux des commentateurs tout à fait naturel. Dix ans après la catastrophale union entre Schüssel (ÖVP) et Haider (FPÖ), de 2000 à 2006, qui avait choqué l’Europe entière, et accumulé scandale sur scandale, notamment nombre de privatisations plus que douteuses et les affaires Eurofighter et Hypo Adria, que l’Autriche est loin d’avoir fini de rembourser. Mais contrairement à Marine Le Pen en France, qui n’a pas réussi à faire du Front National un parti crédible de gouvernement, Strache et Hofer en à peine dix ans ont réussi ce tour de force. La faculté d’oubli des autrichiens semble ainsi sans limite, et nombres de caciques du FPÖ se retrouvent en position d’être ministrables. Strache incarne le rôle envié de faiseur de roi, et la répartition des postes va être lourde de sens.

A moins qu’une surprise de dernière minute, à l’autrichienne, ne vienne troubler le jeu: il est aussi question d’une possible coalition entre le SPÖ et le FPÖ, qui mettrait Kurz et l’ÖVP hors jeu. Après tout, c’est exactement ce qu’avait fait le rusé Schüssel (arrivé 3è en 2000) en s’alliant avec Haider (arrivé 2è), alors que le SPÖ était arrivé en tête. Et nombre d’instances à l’échelon local sont déjà gouvernées par des coalitions SPÖ-FPÖ, comme le Land du Burgenland (Niessl, le Président de cette région faisant pression pour cette formule à l’échelon national) ou la ville de Linz. Localement le tabou est donc déjà brisé, mais cette hypothèse au niveau national reste pour l’instant en fait peu problable, au vu des résistances au sein du SPÖ, comme celle du Maire de Vienne Häupl, totalement allergique à une telle alliance, et dont la forte voix compte au sein du parti: à Vienne, le SPÖ est d’ailleurs arrivé largement en tête avec 35% des voix, le FPÖ ne faisant „que“ 21,45% et l’ÖVP 21,54% -quasi à égalité. Vienne-la-Rouge a encore son mot à dire.

Migrants qui attendent de pouvoir prendre la route des Balkans

Mais comme en France, les campagnes ont voté majoritairement à droite, pour le jeune Kurz donc, voire même en donnant la majorité régionale au FPÖ, comme en Carinthie, ex-fief de Haider.

Peu importe que le jeune Kurz ait surfé sur une litanie de slogans stéréotypés, vides de contenu mais attrape-tout, qui n’engagent que celui qui les lit ou les écoute. Du genre „il faut du mouvement“. Flattant le mécontentement basique de tout autrichien qui se respecte -alors que l’Autriche fait partie des pays au plus haut niveau de vie en Europe et que Vienne est régulièrement classée par l’institut international Mercer au sommet de la pyramide des villes avec la plus haute qualité de vie à l’échelon mondial.

Peu importe, em matière d’immigration, que le jeune Kurz ait été pendant des années Ministre de l’Intégration, et démolisse néanmoins la poltique suivie par le gouvernement auquel il a participé. Comme on sait, tout est toujours la faute des autres.

Peu importe qu’il se soit personnellement attribué des hauts faits d’armes, telle que la „fermeture de la route des Balkans“, comme si le pacte EU-Turquie et les mesures prises par lesdits pays balkaniques n’y étaient pour rien, ou qu’il ait impunément proposé le regroupement de tous les fugitifs d’Afrique et de Lybie sur l’île de Lampedusa, sans demander l’avis des responsables italiens et encore moins celui du maire de Lampedusa.

Peu importe le vide du programme et de la pensée, les autrichiens l’ont cru -à 30% d’entre eux.

Maintenant ou jamais!

Pur produit de la fabrique ÖVP, sans même passer par la case Université, jeune militant gravissant les échelons à grande vitesse, animal politique providentiel pour le camp conservateur qui était en pleine décomposition (à la Présidentielle de 2016, le candidat ÖVP était arrivé au premier tour en 5è position, avec 11,1% des voix, et fut donc aussitôt éliminé), Sebastian Kurz, 31 ans, a su jouer sur l’effet Macron: jeunesse et nouveauté, sans avoir ni l’expérience opérationnelle ni le bagage philosophique du nouveau Président français. Que celui-ci oriente de plus en plus sa politique vers une tendance droitière (après les dernières mesures en matière sociale, fiscale, et budgétaire, la presse et les français commencent à le qualifier de „Président des riches“), cela ne peut que conforter le nouveau phénix de l’Autriche, d’autant plus qu’il envisage de casser le système social actuel, très protecteur, et de se montrer le digne héritier de son prédécesseur Schüssel.

Tous ne s’en réjouissent pas. Comme par exemple l’écrivaine autrichienne Marlene Streeruwitz, qui dans un long article paru ce dimanche dans le „Standard“ formulait à sa manière sa vision de la situation: „ Ainsi font les élites. Elles ne défendent pas leur territoire. Elles le changent. Et schwupps. Le maintien au pouvoir est assuré. Ainsi l’Etat sous le gouvernement Schüssel fut dévalisé, par le biais des privatisations et de la dérégulation. Et schwupps. L’ÖVP est kaputt. Mais. Le Mouvement Kurz va entériner le maintien au pouvoir des bourgeois réactionnaires. Aujourd’hui. Ici. En Autriche.“

Et ceci vraisemblablement avec le concours d’une extrême-droite maintenant solidement installée dans le paysage de la démocratie autrichienne.
Comme le disait déjà en son temps l’indispensable Karl Kraus: „Les autrichiens sont le seul peuple qui grâce à l’expérience devient de plus en plus bête“. Mais il est vrai qu’il se nommait aussi lui-même „le maculeur de nid“ (Nestbeschmutzer), qualificatif que l’Autriche s’est empressée d’attribuer également à son grand contempteur, Thomas Bernhard.

Mais ni Kraus ni Bernhard n’ont suffi. Kurz est là. Et vraisemblablement pour cinq ans.

Une envie de Cyrano ultima modifica: 2017-10-16T22:28:22+02:00 da Patrick Guinand
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