Notre-Dame et l’éternité

La vieille Dame, l’un des symboles les plus forts, et les plus aimés, de la civilisation européenne. On ne sait combien d’années, quinze ou vingt dit-on déjà, seront nécessaires pour la reconstruire, l’éternité.
Patrick Guinand
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Que l’on soit non-croyant ou croyant, Notre-Dame de Paris est l’un des symboles les plus forts, et les plus aimés, de la civilisation européenne. Personne n’osait imaginer que cette vénérable et imposante cathédrale pouvait un jour partir en flammes. À part Victor Hugo, qui en avait fait un épisode fictif, certains diront visionnaire, dans son célèbre roman „Notre-Dame de Paris“.

Mais la magie „Notre-Dame“ est au-delà des mots. Difficile pour un non-parisien, certes, de sentir en lui cet effet d’appartenance, de familiarité, de proximité, que provoque la vieille Dame, dont tout parisien peut se dire complice. Le prestige du bâtiment, oui, la majesté architecturale, extérieure et intérieure, bien entendu, l’attraction touristique, sans aucun doute -les 13 millions de visiteurs annuels sont là pour en témoigner, le besoin de pélerinage pour les plus croyants, avec visite à la Couronne du Christ, certes, mais l’appropriation intime de cette église, hors de toute identification spirituelle, est difficilement définissable.

Parisien pendant plus de trente-cinq ans, et n’ayant pourtant point été un fréquentateur assidu de l’édifice, je puis simplement dire que le sentiment était que la Grande Dame avait besoin d’être là. Paris sans Notre-Dame ne serait plus Paris. Elle est partie intégrante du corps de la capitale. Ou vécue comme telle. Certains disent le coeur. Le coeur de Paris, et de la France. D’ailleurs, le point zéro des routes de France, à partir duquel le kilométrage se mesure, est situé sur le Parvis. Un effet de la centralisation certes, typique de l’Hexagone. Mais non pas situé à l’Élysée ou à l’Arc de Triomphe. Non, sur le Parvis. Notre-Dame „est“ Paris. Notre-Dame „est“ la France.

Même si les restaurations entreprises au XIXè siècle sous la responsabilité de Viollet-Le-Duc fleurent avec le kitsch gothique, les parisiens ont ainsi Notre-Dame à coeur. Comme une sorte de puissance rassurante, un animal tutélaire lové au centre de la capitale, un talisman contre les eschatologies de toutes provenances, un gage d’éternité. Et peut-être secrètement une nostalgie de la domination intellectuelle de la France sur le monde occidental, alors que celui-ci était encore à majorité chrétienne. En tout cas une promesse de permanence, venue de la nuit des temps et prévue pour la nuit des temps. Un totem pour Paris. Pour la France. Un totem pourquoi pas, pour l’Europe.

Notre-Dame en flammes, cette nuit du 15 au 16 avril 2019, a ainsi créé un effet de sidération. D’incrédulité. D’impuisssance aussi, ou peut-être de fatalisme. Les images diffusées cette nuit relevaient plus de la narcose que de l’information purement factuelle.

Les pompiers de Paris, jusqu’à plus ample informé, ont effectué un travail de titans, que tous saluent. La charpente en bois sous les toits, datant partiellement du XIIIè siècle, longue de 110 mètres, large de 13 mètres, haute de 10 mètres, évaluée à 1300 chênes, est dit-on complètement carbonisée. La toiture en plomb a fondu. La voûte au-dessus du transept nord est endommagée. La flèche, à peine restaurée ces derniers mois, est partie en ruine. Mais la structure globale ne s’est pas effondrée. Les hommes du feu ont semble-t-il fait les bons choix. Et ont eu la sagesse de ne pas écouter les tweets imbéciles du Président Trump, qui avec ses solutions magiques à coups de bombardiers d’eau auraient fait exploser ou effondrer irrémédiablement l’ensemble du bâtiment, comme le confirment tous les experts.

Les travaux sur l’échafaudage de 500 tonnes prévu pour la restauration des toits, initié l’été dernier et qui venait à peine d’être achevé, pour un travail programmé sur quinze ans, semblent être à l’origine du sinistre. Une enquête est en cours, et promet d’être longue. On pense inévitablement à ce 29 janvier 1996, à l’incendie de la Fenice. Où Venise fut sidérée. Et où l’on fut sidéré pour Venise. On n’ose pas penser qu’un sinistre identique puisse un jour se produire à la Basilique San Marco.

Une intention criminelle semble pour l’instant exclue. Paris n’étant pas vraiment sorti du traumatisme du Bataclan, on ne peut s’empêcher pourtant d’y faire allusion. Le symbole de Notre-Dame étant universellement reconnu, on ne s’étonnera point que les islamistes radicaux l’avait en effet inscrite sur la liste prioritaire de leurs objectifs de destruction en France. D’ailleurs voici un peu plus de deux ans, en septembre 2016, la police avait détecté à temps une menace d’attentat, et procédé à l’arrestation de trois malheureuses endoctrinées, et saisi une voiture bourrée de bonbonnes de gaz que le commando féminin djihadiste avait réussi à faire venir jusqu’à proximité du parvis de la cathédrale. Les dames en jilbab étaient heureusement inexpérimentées, et ont raté le départ de feu, qui sinon aurait provoqué un carnage. Du fanatisme, tout reste à craindre. 

Aujourd’hui, le hasard serait le seul coupable. Ce qui n’empêche pas l’Isis de se réjouir semble-t-il dans un communiqué de ce coup porté „au coeur des Croisés“. 

Le Président Macron a reporté à ce mardi soir son intervention télévisée très attendue, prévue lundi soir juste au moment où l’incendie était en pleine rage, pour répondre au mouvement des Gilets jaunes. Nul doute qu’il va utiliser ce drame à forte charge émotionnelle pour tenter de faire appel à l’unité nationale. Et sauver son quinquennat. Au moins provisoirement. Les voies du hasard sont décidément impénétrables.

Reste qu’un morceau d’éternité cette nuit s’est envolé. Et l’on ne peut qu’espérer pouvoir dire un jour avec Rimbaud: „Elle est retrouvée / Quoi? – l’Éternité.“. C’est la mer allée avec le soleil, disait-il en fait. Ici, c’est la Dame allée avec Paris. On ne sait combien d’années, quinze ou vingt dit-on déjà, seront nécessaires pour la reconstruire, l’éternité.

Notre-Dame et l’éternité ultima modifica: 2019-04-16T15:48:08+02:00 da Patrick Guinand
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