Les français ont voté. L’apprenti-roi Macron a été réélu. Et aussitôt désavoué. Il a fallu qu’une vox populi étrangère nous apporte un néologisme pour déciller la France: „macroner“.
Les ukrainiens ont inventé le terme pour désigner l’art de faire des beaux discours non suivis d’effets. Une sorte d’art verbal de noyer le poisson. Et le langage courant l’a adopté pour signifier la manoeuvre consistant à se dire inquiet d’une situation, et surtout à se montrer inquiet de la dite situation, mais ensuite à ne rien faire pour la redresser.
Comme souvent, la vox populi caricature, mais les électeurs français ont fini eux aussi par considérer que le Président Macron au cours de son premier quinquennat n’a fait que macroner, et lui ont refusé une „majorité forte et claire“ au Parlement comme il le souhaitait, pour le remettre face à la réalité. C’est-à-dire avec une majorité relative, insuffisante donc pour décliner cinq ans de plus la fable jupitérienne, et une opposition conséquente de gauche comme de droite, pour obliger Jupiter à dialoguer avec ses contradicteurs, et faire revivre la démocratie.
Le désamour ne date pas de ce mois de mai 2022. Dès 2018, quelques mois après sa première élection, nous avions relevé ici dans Ytali les premiers signes d’effritement de popularité, et de désaveuglement du peuple français. Déjà alors nous pointions les habiletés rhétoriques macroniennes et la réalité délétère des actes concrets. L’article s’intitulait : „Le Roi (presque) nu“.
Depuis, entre perpétuation obstinée de ladite conduite „jupitérienne“, non obstruée par une majorité parlementaire aux ordres et réduisant le Parlement à une chambre d’enregistrement de la volonté élyséeenne, tartufferies bien distillées, marketing politique faisant office de politique, effets d’annonce sans substance ou sans suite, coups médiatiques telle la Convention citoyenne sur le climat, à résultat finalement nul, et effets douloureux du cassage social et du démantèlement progressif des services publics, le temps est tourné à l’orage.
Les sondages précédant les législatives annonçant une défaite probable de la majorité macronienne (prédite moins écrasante qu’elle ne la fut réellement, le parti des „marcheurs“ macroniens perdant en fait presque la moitié de ses députés, passant de 309 à 160), le Président fraîchement réélu tentait encore quelques jours avant le vote législatif de proposer la création d’un „Conseil National de la Refondation“, réunissant les forces politiques et sociales, syndicats, associations, élus des territoires, chargé de „faire vivre les réformes“, pour débattre des grands défis actuels, pouvoir d’achat, santé, sécurité, immigration, climat, défense, Europe, etc, et redresser ensemble la France. En fait exactement le rôle dévolu au Parlement, que Macron a cherché une ultime fois de contourner, dans un dernier macronage. Les électeurs ont répondu. Et ledit Conseil de la Refondation semble mort-né.
Ces jours-ci le Président a consulté les chefs de partis, pour essayer de débloquer la situation parlementaire, à ce jour ingouvernable. Tous opposent une fin de non-recevoir à des esquisses de partenariat ou de coalition. Christian Jacob, le chef du Parti Républicain (64 députés), la droite dite modérée de Chirac et Sarkozy, que les macronistes voudraient bien annexer, Macron ayant déjà débauché nombre d’entre eux au cours de son quinquennat précédent dans une pratique quasi berlusconienne, a dit clairement non. Et l’influent sénateur socialiste Patrick Kanner vient de résumer parfaitement la situation: „Le roi est nu. Qu’il se débrouille!“. Du presque nu, on est donc passé au nu intégral..

Le théâtre politique et parlementaire est donc en ébullition. Et même si cela est peu évoqué, tout le monde sait que Macron a été réélu Président sur un vote anti-Le Pen, et non sur son programme, au demeurant très flou, se résumant en fait à la continuité du précédent quinquennat, Jupiter n’ayant
pas jugé bon d’en débattre en campagne électorale. L’hybris de l’hyper-président s’est retourné contre lui. D’ailleurs il est bon de rappeler qu’au premier tour de la présidentielle, il n’a réuni que 20% des inscrits sur les listes électorales. Une légitimité officialisée bien sûr finalement par l’élection au deuxième tour, mais non populaire. Olivier Faure, chef du Parti Socialiste (31 députés), inclus dans la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, la Nupes (149 députés), reçu mardi à l’Elysée, aurait dit au Président Macron: „Jupiter, c’est fini!“.
On ne sait encore comment dans ce jeu de poker politique les nouvelles voix élues vont pouvoir se faire entendre. Telle Rachel Keke, ancienne femme de ménage, meneuse de grève victorieuse au sein de la chaîne des hôtels Ibis, élue Nupes dans le Val-de-Marne (face à l’ex-Ministre des Sports du gouvernement Macron!), qui s’est promis de „défendre les invisibles“ et attire tous les regards. Ou d’autres représentants de la „France d’en bas“, cette France des perdants que Macron n’a jamais réussi à considérer comme faisant eux aussi partie de la „start-up nation“, fondée sur la précarité, la flexibilité, et la lutte dans la jungle, des exclus devenus aujourd’hui députés, surtout au sein du mouvement Nupes. Un commentateur a dit que le nouveau Parlement était l’équivalent institutionnel des Gilets Jaunes. Si le Parlement malgé tout ne réussit pas à se faire entendre, s’il y a blocage, voire dissolution prochaine, comme certains le prédisent, il n’est pas impossible que tout cela finisse de nouveau dans la rue.

D’autant plus que le Rassemblement National de Marine Le Pen, que la politique et les méthodes de Macron ont finalement favorisé, y compris au cours des législatives où nombre de macronistes battus au premier tour n’ont pas donné de consigne claire lorsque les candidats Nupes devaient affronter des candidats RN au deuxième tour, sort triomphant de ces élections, passant de 8 à 89 députés. Rafflant au passage majoritairement l’électorat ouvrier, urbain ou rural, précaire et déclassé. Ceux qui n’en peuvent plus. Comme disait un Gilet Jaune à Macron lors d’une altercation: „Vous pensez à la fin du monde. Nous on pense à la fin du mois.“
Et voilà comment sous Macron, l’extrême-droite s’installe en force dans le paysage français, y compris institutionnel.
Inutile de dire que dans ce grand chaudron d’exercice démocratique, malgré la référence constante au panthéon greco-romain, même macronisé, la culture est totalement absente des débats. On l’avait déjà constaté lors de l’élection présidentielle, le clou est totalement enfoncé avec les législatives. Il nous manque il est vrai un Sénèque, un Euripide ou un Aristophane.

Face donc à ce tri-partisme qui scinde la France, entre centre-droit encore macronien qui a eu la volonté de phagocyter les partis traditionnels de gauche et de droite, avec une certaine réussite puisqu’ils furent laminés à l’élection présidentielle, gauche sociale et écologiste, voire „insoumise“ (le parti de Mélenchon La France Insoumise, 17 députés en 2017 a obtenu cette fois-ci 84 députés), renaisssante grâce à la Nupes aux législatives, et droite traditionnelle quasi supplantée par l’extrême-droite, Macron pourra-t-il continuer de macroner?
Eh bien oui. Dans son allocution solennelle de ce mercredi soir depuis l’Elysée. Macron a comme à son habitude fait un diagnostic brillant de la situation, reconnu les „fractures“ de la société française, regretté l’abstention, constaté l’impossibilité de constituer un gouvernement d’unité nationale, ainsi que le refus des chefs de partis d’envisager à ce stade quelque coalition que ce soit, et lancé une contre-hypothèse: à défaut de signer un „contrat de coalition“ avec lui, encore espéré, bâtir donc des majorités flexibles, projet par projet, texte par texte, faisant soudain l’éloge du dialogue et du compromis. Jupiter consentirait donc de descendre de l’Olympe et de prendre le rôle d’Hephaīstos, à la forge démocratique. Ce dialogue serait bien entendu placé sous la dynamique du „en même temps“ fixé comme dogme depuis le début de sa première présidence. Ce qu’il appelle maintenant un „dépassement politique“, sommant les différentes formations de l’Assemblée
Nationale de „clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération qu’elles sont prêtes à prendre“, sur la base de sa politique bien évidemment, et les responsables politiques et parlementaires de „dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller“. Et ceci si l’on a bien compris sous 48 heures, à son retour du Conseil européen!
La perversion macronante de cette contre-attaque est immédiatement apparue aux observateurs: renvoyer la balle de l’éventuel blocage de gouvernance dans les rangs de ses opposants, donc de leur responsabilité devant l’opinion; amener les diverses oppositions à s’engager ponctuellement sur des projets fixés par l’Elysée (le sous-texte semblait ignorer donc l’étude des propositions ou programmes venant de ces oppositions), sans même écarter explicitement le Rassemblement National; et faire comme si le peuple avait élu le Président sur son propre programme. Le tout bien entendu au nom de la France gagnante et de l’intérêt supérieur de la nation.
La réaction de Jean-Luc Mélanchon ne s’est pas fait attendre, dénonçant „l’enfumage“ macronien. Le Président croit toujours qu’il a été élu sur son programme. Les urnes le démentent. Mais l’hybris perdure. La réalité est celle du choix des français. Et „le choix n’est pas la ratatouille: c’est un choix“. Bref, c’est non. Non aussi de la part d’Olivier Faure, du Parti Socialiste. Pas prêt à donner un „chèque en blanc“ au Président. Tout comme le nouveau chef de file des Républicains à l’Assemblée, jugeant cependant „qu’il n’y a pas d’alternative au dialogue“. Ou le président par interim du Rassemblement National, regrettant que le chef de l’Etat veuille „changer de méthode sans changer une virgule de son projet“. Nous n’en avons pas fini avec les effets de manche, les saillies imagées et les sous-entendus subliminaux. Le théâtre de la démocratie cohabitationiste ne fait que commencer.
La manoeuvre macronienne parviendra-t-elle ainsi à briser une fois de plus le microcosme politique? Et la Macronie macronante réussira-t-elle à surfer sur les vagues des mois à venir? Rien n’est moins sûr.

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