Un triomphe de plus! Une habitude pour le metteur en scène Pier Luigi Pizzi. Ovationné une fois de plus le 28 avril dernier à La Fenice, avec l’Orfeo ed Euridice de Gluck. Une Première qui n’a point échappé à la règle des succès signés par Pizzi. À La Fenice bien sûr, de manière récurrente depuis de nombreuses années, comme dans le monde entier.
Une longue histoire me lie à Pizzi. En 1976 je propose à Bernard Lefort, le Directeur du très renommé Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, de faire une adaptation du roman à succès de Dominique Fernandez „Porporino ou les mystères de Naples“ (Prix Médicis en France en 1974), situé dans l’univers baroque des écoles napolitaines pour castrats à la fin du XVIIIè siècle. Le spectacle créé en 1979 à Aix, composé autour d’oeuvres de Porpora, Hasse, Leo, Traetta, Durante, Pergolese, Alessandro Scarlatti, trouvera son point d’orgue avec la rencontre d’Achille et Ulysse dans le Achille in Sciro de Jommeli, ce fameux épisode où Achille travesti en femme essaie d’échapper à la guerre, mis en libretto par Metastase et en musique par une trentaine de compositeurs de l’époque. James Bowman, au début de son imposante carrière de contre-ténor, et Bruce Brewer, tenor di grazia, en seront les interprètes principaux.
Pour les décors et costumes, Lefort me demande alors de travailler avec un décorateur italien, déjà connu comme le „maître du baroque“: Pier Luigi Pizzi. Le résultat fut somptueux. Et marqua ainsi le début d’une amitié qui perdure jusqu’à ce jour.

Pizzi depuis lors, assurant la maîtrise totale de l’image scénique, mise en scène, décors, costumes, lumière, sera effectivement des années durant le maître incontesté de la reconstitution de l’univers baroque sur d’innombrables scènes lyriques. De l’Orlando Furioso de Vivaldi au Rinaldo ou à l’Ariodante de Händel, de l’Alceste ou l’Armide de Gluck à la Semiramide de Rossini ou aux Indes Galantes de Rameau. Loin d’ailleurs de se limiter au seul répertoire baroque, ses réalisations suivront par centaines, couvrant tout le spectre lyrique de Verdi à Wagner ou Britten. Et progressivement il développera une esthétique radicalement autre, fondée sur un minimalisme scénographique à forte composante géométrique, toujours inspirée des règles d’or établies par les maîtres anciens, tendant à créer un espace absolu pour l’épanouissement des voix et de la musique, que l’on pourrait nommer un classicisme moderne.
L’Orfeo de Gluck à La Fenice en est un exemple parfait. En osmose avec la réforme opératique de Gluck, qui cherchait à limiter les excès de spectacularité baroquisante pour arriver à une simplicité harmonique et équilibrée plus proche du réel, Pizzi reconnait que cette volonté d’essentialité correspond exactement à sa recherche d’une expression stylistique renouvelée. „Quest’opera è in linea coerente con la mia attuale maniera di far teatro, un tipo di teatro etico, che tende all’essenziale, evitando lo spreco di qualsiasi forma di narcisistico esibizionismo“, dit-il dans le programme de la Fenice. La pureté visuelle de cet Orfeo en portera témoignage. Le cimetière où l’on pleure Euridice, signifié par quelques tombes ouvertes, les cyprès à la Boecklin, les flammes de l’Enfer, les nuages en mouvement, radieux ou menaçants, apportés par la technologie de dernière génération, les masses chorales s’inscrivant dans la géométrie, tout fait signe et ambiance. L’image globale est fascinante. Un mélange organique entre austérité et somptuosité. Et la musique est reine.

Pas étonnant qu’il ait fait voici quelques mois une incursion dans le théâtre dramatique avec la pièce de Nathalie Sarraute Pour un oui ou pour un non (1981). Un théâtre du rien dit, du non dit, ou du à peine dit, du „non-avoué“ comme dit Sarraute, ce qu’elle appelle les tropismes de la „sous- conversation“, qui peut changer toute une existence. Interprété magistralement par Umberto Orsini et Franco Branciaroli, le spectacle qui après le Piccolo Teatro de Milan, l’Argentina de Rome ou le Carignano à Turin, a achevé sa longue tournée italienne au Toniolo de Mestre le 16 avril dernier, a subjugué le public et enthousiasmé la critique. La rareté des mots, l’intensité des sentiments, la virtuosité de l’interprétation, le raffinement esthétique, tout répondait à la logique „pizzienne“. Goût absolu, lucidité des choix. Au théâtre comme à l’opéra.
Un théâtre éthique, donc. Essentiel. Esthétiquement parfait. Le nonagénaire Pizzi, bientôt 93 ans, est au sommet de son art. En juin prochain, il signera l’Incoronazione di Poppea au Festival Monteverdi de Cremona. La magie Pizzi devrait cette fois encore être au rendez-vous. Un destin de fait assez unique dans l’histoire des arts de la scène.

Vénitien d’adoption, Pizzi est aussi un collectionneur passionné de tableaux du XVIIè siècle, en particulier sur le thème de Saint Sébastien. Un trésor quasi muséal couvre les murs de son palazzo près de San Polo, où ne font point défaut vases de Venini et sculptures antiques. On reste fasciné devant tant de splendeur. Oui vraiment, Pizzi est d’une espèce rare, ou largement raréfiée, celle qui incarne la beauté classique. Avec un parfum d’éternité.

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